Tadjikistan : l’armée recrute à coups de rafles et d’intimidation

Dans les vallées enclavées du Tadjikistan, le service militaire prend des allures de chasse à l’homme. Une rapidité record dans les chiffres, mais à quel prix ?

Service militaire au Tadjikistan : sous les chiffres triomphants, des pratiques abusives et coercitives

Alors que la campagne de conscription de printemps a été lancée au Tadjikistan le 1er avril 2025, le 11 avril 2025 les autorités se félicitaient déjà d’avoir atteint plus de 80% des quotas nationaux en seulement dix jours. Derrière ce succès apparent, les dénonciations d’abus, de rafles, de pressions administratives et de violations des droits fondamentaux se multiplient. Les chiffres masquent une réalité plus sombre, où le service militaire s’impose souvent par la force.

Une conscription bouclée à vitesse forcée

En moins de dix jours, le ministère de la Défense a annoncé que « plus de 80% du plan de conscription militaire de printemps » avait été atteint. Certaines régions comme le Gorno-Badakhchan, Khatlon et Racht, ainsi que la capitale, Douchanbé, auraient même accompli leurs objectifs dès le premier jour.

Un tel zèle interroge. Comment des quotas aussi élevés peuvent-ils être atteints si rapidement, sans même laisser le temps à une procédure standard ? L’explication officielle tient en trois mots : « hausse du volontariat ». Davlatali Said, président de la région de Khatlon, a affirmé : « Grâce à ce travail de sensibilisation, nous avons pu mettre en œuvre le projet de plan dès le premier jour ». Les autorités évoquent également des « avantages sociaux » et une « mobilisation communautaire réussie ». Mais ces discours ne tiennent pas longtemps face aux pratiques dénoncées par la population.

Rafles en pleine rue et recrutement sous contrainte

Le 8 avril, dans le marché central de Kulyab, des agents en uniforme ont tenté d’enlever un jeune homme pour l’emmener de force au bureau de conscription. Alertés par ses cris, des commerçants se sont interposés. L’altercation a été filmée et transmise à la radio Ozodi, le service tadjik de Radio Liberty. Ce n’est pas un cas isolé. Chaque saison de recrutement semble déclencher son lot d’arrestations arbitraires, parfois brutales, dans les lieux publics.

Une enquête menée par Ozodi évoque des pratiques encore plus extrêmes : coupures d’électricité ciblées, fermetures de mosquées, pressions sur les écoles pour identifier les familles ayant des fils en âge de servir. À Dilbari (province de Khatlon), les autorités ont imposé un black-out pour contraindre les parents à ramener leurs enfants de Russie et les enregistrer auprès de l’armée.

Violences, intimidations et fuite des jeunes

Pourquoi une telle résistance de la population ? Parce que le service militaire au Tadjikistan rime avec violence, humiliation et danger. Les jeunes redoutent les brimades internes mais aussi les affectations dans des zones sensibles comme la frontière kirghize, où des affrontements meurtriers ont été signalés. Certains vont jusqu’à simuler des pathologies, soudoyer des médecins, voire fuir vers la Russie pendant la période de recrutement.

Une conscription à deux vitesses : les pauvres à l’armée, les riches à l’abri

Un ancien officier de recrutement interrogé Ozodi, résume la situation avec cynisme : « Nos jeunes se cachent en Russie. Ils rentrent juste pour l’hiver, jusqu’à ce qu’ils aient deux enfants et soient enfin exemptés » L’impunité des élites n’échappe à personne : les familles influentes trouvent des passe-droits, tandis que les classes modestes subissent la brutalité de l’enrôlement forcé.

Si refuser le service militaire est puni de peines pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison, l’évitement reste massif. Le système, fondé sur l’intimidation et les menaces, inspire plus de peur que de patriotisme.

Des réformes promises… mais jamais appliquées

Les autorités affirment avoir amélioré les conditions de vie des soldats : nourriture, infrastructures, réduction des violences. Mais les témoignages contredisent largement ces déclarations. À défaut de réformer profondément la structure militaire et son encadrement, le pouvoir semble miser sur la force et la propagande. Et les solutions évoquées restent marginales : priorité à l’embauche pour les anciens conscrits, aides aux inscriptions universitaires… mais rien qui ne suffise à endiguer la peur collective.

Des quotas remplis, mais à quel coût humain ?

En surface, le Tadjikistan célèbre une campagne de conscription exemplaire. En profondeur, les abus, l’arbitraire et la répression caractérisent un système autoritaire qui impose la soumission militaire au mépris des libertés individuelles. Si la majorité des jeunes fuit l’armée, c’est peut-être parce que l’armée a fui l’État de droit.

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