Derrière les projets d’investissements colossaux et les slogans d’amitié sino-ouzbèke, une réalité bien plus brutale se dessine dans les campagnes d’Andijan.
Des confiscations faites avec le concours de la force publique
L’histoire commence dans le silence des champs et finit dans le vacarme des usines. Quel rôle l’agriculteur joue-t-il encore dans cette nouvelle équation de pouvoir ? À qui profitent vraiment les cultures du coton et du poivron ? Et surtout, que cache ce transfert massif de terres fertiles à des intérêts étrangers ? Le 11 avril 2025, la radio Ozodlik, le service ouzbek de Radio Liberty, publiait une enquête accablante sur une vague de confiscations de terres agricoles dans la vallée de Fergana. Des milliers d’agriculteurs ouzbeks, principaux piliers de l’économie locale, se sont vu priver de leurs terres, parfois manu militari, pour les voir transférées à des entreprises chinoises. Une opération que Tachkent présente comme un partenariat gagnant-gagnant, mais que les intéressés qualifient de spoliation pure et simple.
Dans la région d’Andijan, ce ne sont pas des cas isolés. Ce sont des centaines d’agriculteurs, parfois installés depuis des décennies, qui ont été forcés d’abandonner leurs parcelles. Les terres, souvent irriguées et cultivées en coton ou en blé, sont tout simplement requalifiées en réserves d’État, puis confiées à des groupes chinois. Sur le papier, les agriculteurs auraient donné leur consentement. En réalité, c’est une autre histoire. « Les inspecteurs de police sont venus chez moi et m’ont emmené de force chez le maire. Là, il m’a hurlé dessus en disant : ‘C’est un ordre du président. Si tu refuses, tu finiras en prison.’ J’ai fini par signer sous la contrainte », a raconté un paysan d’Ulugnar à la radio Ozodlik.
Dans la même région, 2.200 hectares appartenant à une entreprise locale en faillite ont été transférés à la firme chinoise Tian Ye Plastik. L’année suivante, 1.800 hectares supplémentaires ont été saisis auprès d’agriculteurs.
Accablé par sa dette vis-à-vis de la Chine, l’Ouzbékistan cède
Ce grand jeu d’échecs géoéconomique trouve son origine dans une simple équation : Pékin détient désormais 3,8 milliards de dollars de la dette publique ouzbèke. Dans ce contexte, chaque hectare semble peser moins qu’un centime. « L’Ouzbékistan ouvre grand les bras à la Chine, faute de pouvoir rembourser ses dettes », expliquait Narghiza Muratalieva dans un entretien à Ozodlik.
Officiellement, la Chine est désormais le premier partenaire commercial du pays. En 2024, le volume des échanges a atteint 12,5 milliards de dollars, dépassant de loin les relations commerciales avec la Russie. Mais à quel prix ? Des fermiers dénoncent des pratiques opaques, des transferts sans jugement, des ordres donnés à l’oral et l’intervention directe de la police et de la Garde nationale pour mater toute opposition. « Ils ont arrêté ma femme et moi parce que je refusais de céder ma terre. Plus personne n’ose parler », confie un agriculteur anciennement installé à Kourgan-Tepa à Ozodlik.
Des agriculteurs remplacés par des saisonniers mieux payés, mais pour combien de temps ?
À première vue, les sociétés chinoises offrent de meilleurs salaires : entre 5 et 8 millions de soums, soit jusqu’à 620 euros. Mais cette apparente générosité ne saurait masquer la réalité : les habitants ne sont plus propriétaires de leur outil de travail. Dans la région désertique de Kachkadaria, plus de 20 000 hectares ont été remis à l’entreprise JENGU. Cette dernière cultive du coton grâce à des systèmes de goutte-à-goutte sophistiqués, là où les agriculteurs locaux n’avaient ni technologie ni capitaux.
Des analystes locaux s’inquiètent également de l’usage massif de pesticides et de produits chimiques non identifiés. Un fermier d’Andijan confiait : « Les Chinois veulent cultiver du poivron sur nos terres. Ils utilisent des produits que nous ne connaissons même pas. Bientôt, ils auront tout pris, comme ils l’ont fait avec les Ouïghours au Xinjiang ».
Ouzbékistan : pion ou partenaire dans la stratégie chinoise ?
Derrière l’étiquette d’aide au développement, la stratégie chinoise ressemble de plus en plus à un piège à dette. Et l’Ouzbékistan ne fait pas exception. La politologue Narghiza Umarova rappelle : « Le cas du Tadjikistan, qui a cédé plus de 1.158 km² à la Chine, doit alerter ».
Le plus troublant ? Ce processus s’est déroulé sans qu’aucun document officiel ne soit montré aux fermiers. Aucun décret présidentiel n’a été publié. Aucune audience n’a été convoquée. Tout repose sur un mystérieux ordre oral du maire de région, Shukhrat Abdurakhmanov.
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