L’Ouzbékistan rejoint la Banque eurasiatique de développement : un tournant stratégique régional
L'Ouzbékistan rejoint la Banque eurasiatique de développement : un tournant stratégique régional

L’Ouzbékistan a officiellement intégré la Banque eurasiatique de développement (EABR), devenant son septième État membre et, surprise, le troisième actionnaire en importance. Une évolution qui, derrière l’apparente formalité d’une signature présidentielle, redessine les lignes de force d’une Asie centrale où les capitales se rêvent désormais en piliers d’un nouvel ordre économique régional.

Une entrée fracassante dans la Banque eurasiatique de développement

Le 10 avril 2025, Shavkat Mirziyoyev, le président de l’Ouzbékistan, a signé la loi ratifiant l’entrée du pays dans la Banque eurasiatique de développement. Cet acte parachève une trajectoire entamée depuis juillet 2024, date à laquelle le conseil d’administration de la banque avait validé l’adhésion ouzbèke.

En s’invitant dans l’organigramme d’une institution dominée historiquement par la Russie et le Kazakhstan, Tachkent s’offre une part de 10% du capital de l’EABR. Cela place d’emblée l’Ouzbékistan derrière les deux poids lourds régionaux, reléguant les autres membres – Biélorussie, Kirghizstan, Tadjikistan et Arménie – à des participations plus modestes.

Banque eurasiatique de développement : à quoi sert ce mastodonte discret ?

Créée en 2006 à l’initiative de Moscou et d’Astana, la Banque eurasiatique de développement (EABR) est une institution multilatérale de financement. Son capital autorisé s’élève à 7 milliards de dollars, dont 1,5 milliard a déjà été libéré. Le siège se situe à Almaty, mais ses ramifications techniques et politiques s’étendent bien au-delà du Kazakhstan.
Sa vocation ? Injecter des fonds dans des projets à fort impact régional. À fin 2024, son portefeuille cumulait 305 projets totalisant 16,5 milliards de dollars (environ 15,2 milliards d’euros), principalement dans les domaines de la logistique, du numérique, de l’énergie verte, de l’agriculture et de l’industrie lourde. L’intégration économique est son mantra. Le président de la banque, Nikolaï Podgouzov, n’a pas boudé son enthousiasme : « Ce partenariat offre de grandes possibilités pour le développement économique de l’Ouzbékistan et de l’ensemble de la région », a-t-il déclaré. La rhétorique est polie, mais le message est limpide : l’Ouzbékistan est devenu un levier stratégique.

L’Ouzbékistan, nouveau centre d’impulsion régional ?

Ce n’est pas un hasard si l’EABR s’est ruée sur l’Ouzbékistan. Le pays a connu depuis 2016 une transformation économique fulgurante, accélérée par des réformes structurelles, une politique d’ouverture commerciale et une diplomatie régionale active.

L’adhésion ouvre la voie à un déploiement immédiat de projets financés par la banque. Et pas des moindres. Les premiers investissements cibleront les infrastructures de transport, les réseaux énergétiques, le secteur de l’eau, mais aussi l’agriculture et l’industrie de transformation. « La Banque a déjà commencé à travailler sur des projets d’investissement dans [le pays], dont elle entend financer le premier cette année », a fait savoir Nikolaï Podgouzov. L’ambition est claire : faire de l’Ouzbékistan une plateforme d’intégration économique eurasiatique.

Une redistribution des cartes au sein de l’EABR

Le timing n’est pas neutre. La part de la Russie dans le capital de la banque est passée de 65,98% à 44,79% début 2023, redistribuée partiellement entre les autres membres. Le Kazakhstan a ainsi vu sa participation grimper à 37,29%, tandis que les autres se partagent des miettes entre 4% et 5%. Dans ce contexte, l’arrivée d’un acteur aussi ambitieux que l’Ouzbékistan fait figure de contrepoids potentiel, capable de rééquilibrer les rapports de force internes.

Et si ce n’était qu’un début ? Car derrière cette adhésion se profile une logique plus vaste : renforcer la coopération Sud-Sud, créer une alternative aux institutions occidentales et, surtout, offrir une voie médiane dans un monde multipolaire.

Un pari risqué ou bien placé ?

La Banque eurasiatique de développement n’est pas une lubie technocratique. Elle est le bras financier d’un projet géopolitique, dont l’efficacité reste à prouver. En rejoignant ses rangs, l’Ouzbékistan prend un pari : que ce club d’États aux ambitions souvent divergentes puisse générer de la croissance tangible et de l’investissement productif.

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