Un corridor électrique vert s’élance de la Caspienne vers l’Europe
Un corridor électrique vert s’élance de la Caspienne vers l’Europe

Des capitales d’Asie centrale aux rivages de la mer Caspienne, un projet titanesque se met en place. Il mêle promesses diplomatiques, investissements colossaux et ambitions écologiques affichées. Mais derrière les formules consensuelles se cache un enjeu stratégique brûlant pour l’Europe : diversifier ses sources d’énergie sans troquer sa dépendance fossile pour une dépendance électrique.

Le 4 avril 2025, un accord politique structurant a été signé à Bakou entre le Kazakhstan, l’Ouzbékistan et l’Azerbaïdjan, scellant leur volonté commune de développer un corridor énergétique vert destiné à alimenter l’Europe. Cette initiative ambitieuse, baptisée « corridor vert caspien », s’inscrit dans une logique de souveraineté énergétique partagée et de transition écologique transcontinentale.

Accord politique et ambitions déclarées : l’énergie verte entre pragmatisme et promesse

C’est dans le cadre du 11e Conseil consultatif du corridor gazier du Sud et du 3e Conseil sur l’énergie verte, que les trois pays ont acté leur engagement commun. Le Kazakhstan, l’Azerbaïdjan et l’Ouzbékistan ont officiellement signé un mémorandum avec deux institutions financières majeures : la Banque asiatique de développement (ADB) et la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB). Objectif affiché ? Lancer les études de faisabilité du corridor énergétique vert qui reliera l’Asie centrale à l’Europe via la mer Caspienne.

« Ensemble, nous créons un avenir où l’énergie n’est pas seulement une ressource, mais le socle d’un développement durable et stable », a déclaré le ministre kazakhstanais de l’Énergie, Yerlan Akkenzhenov, lors de la cérémonie.

C’est bien de stratégie qu’il s’agit. Stratégie régionale pour ces pays riches en potentiel solaire et éolien, et stratégie continentale pour une Europe en mal de ressources non carbonées.

Des engagements financiers à la prudence technocratique : que promettent les banques asiatiques ?

Du côté des bailleurs, le ton est volontaire mais prudent. Les représentants de la ADB et de l’AIIB ont confirmé leur soutien au projet, sans pour autant avancer de chiffres précis à ce stade. L’ambition n’est pas minime : il s’agira de construire les infrastructures nécessaires au transport d’électricité verte sur plusieurs milliers de kilomètres, en passant par la mer Caspienne, le Caucase, puis les Balkans jusqu’à l’Union européenne.

Selon le ministre ouzbek de l’Énergie, Umid Mamadaminov, ce corridor représente un engagement « en faveur d’un avenir vert, de la croissance économique et de la sécurité énergétique à long terme ». En clair, un espoir d’industrialisation verte de la région, en surfant sur les besoins criants du Vieux Continent. Mais encore faut-il convaincre les technocrates européens que les investissements seront sécurisés, les normes respectées, et les calendriers tenus.

L’Europe en ligne de mire : dépendance énergétique inversée ?

Pourquoi l’Union européenne s’intéresse-t-elle à ce projet en apparence lointain ? Parce que les câbles électriques sont devenus les nouveaux oléoducs. Après avoir été dépendante du gaz russe, l’Europe cherche désespérément à diversifier ses fournisseurs. L’initiative verte caspienne arrive à point nommé.

D’autant plus que le corridor énergétique pourrait s’imbriquer dans un second projet signé le même jour, à Bakou également, par l’Azerbaïdjan, la Géorgie, la Turquie et la Bulgarie. Ces quatre États ont acté la création d’un corridor reliant la mer Caspienne à l’Europe du Sud-Est. Le ministre bulgare de l’Énergie, Zhecho Stankov, a affirmé que ce nouveau corridor « assurera la fourniture d’électricité verte du bassin caspien vers la Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie ». Autrement dit, le schéma se dessine : des mégaprojets en cascade, des promesses intergouvernementales, et un continent européen qui parie sur la fiabilité de ses partenaires eurasiens.

Derrière les mots, un casse-tête logistique et géopolitique

Mais ce rêve vert n’est pas exempt de réalités brutes. Le tracé de ce corridor devra franchir plusieurs frontières, zones sismiques, instabilités politiques et goulets d’étranglement technologiques. La Caspienne ne se traverse pas si aisément, les réseaux électriques transfrontaliers sont encore embryonnaires, et les standards européens en matière de certification d’origine verte sont drastiques.

De plus, si les gouvernements se félicitent d’un « accord historique », aucun engagement ferme en euros n’a été annoncé. Le financement intégral du projet, son calendrier d’exécution, la gouvernance de l’infrastructure, tout reste à définir.

Pour l’instant, le corridor vert caspien reste une ambition plus qu’un pipeline. Il mobilise des discours visionnaires, fédère des partenaires parfois antagonistes, et répond à une nécessité géostratégique réelle. Mais sans arbitrages clairs, sans enveloppes budgétaires concrètes et sans garanties d’interopérabilité, ce projet pourrait bien finir sur l’étagère des rêves climatiques ajournés. À suivre, donc.

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