Au Kirghizstan, le projet de loi interdisant de filmer des policiers suscite la controverse
filmer des policiers

Un projet de loi au Kirghizstan propose de restreindre le droit des citoyens à filmer les policiers dans l’exercice de leurs fonctions. Ce texte, défendu par plusieurs députés, suscite de vives critiques. Tandis que certains estiment que la mesure renforcera le respect de l’autorité publique, des experts et juristes dénoncent une atteinte aux libertés fondamentales, notamment la liberté d’expression et le droit à l’information.

Pour les députés, il s’agit d’un projet censé renforcer l’autorité des forces de l’ordre

Les députés Suyunbek Omurzakov, Vinera Raimbachaeva et leurs collègues, initiateurs du projet de loi, justifient leur démarche par une hausse des cas de non-respect des forces de l’ordre. D’après eux, la diffusion de vidéos montrant des policiers pourrait, dans certains cas, discréditer leur travail et encourager des comportements irrespectueux envers les agents. L’objectif du projet serait donc de protéger les agents en interdisant la diffusion de contenus qui pourraient nuire à leur réputation et entraver leurs missions.

Ce texte propose ainsi des sanctions sévères pour les infractions : une amende de 5.000 soms (environ 50 euros) ou jusqu’à sept jours d’emprisonnement pour quiconque filmerait un policier dans l’exercice de ses fonctions et publierait ces images dans un but jugé « diffamatoire ». Les députés estiment que cette mesure permettra de restaurer l’autorité des forces de l’ordre et de garantir la sécurité publique en limitant les comportements irrespectueux.

Des inquiétudes sur les libertés fondamentales

Face à ce projet, de nombreux juristes et défenseurs des droits de l’homme expriment leur opposition, soulignant que la loi pourrait restreindre des droits garantis par la Constitution kirghize. L’Institut Media Policy, un groupe de juristes influent, a fermement appelé au retrait du projet, soulignant que les citoyens doivent avoir le droit d’enregistrer et de diffuser les actions des forces de l’ordre, surtout dans les cas de comportements abusifs ou illégaux.

Les opposants au projet de loi rappellent que la Constitution garantit la liberté d’expression et le droit d’accéder à l’information. Ils pointent également que des vidéos de citoyens ont déjà permis d’exposer des cas de corruption et de maltraitance au sein des forces de l’ordre. Selon eux, une interdiction totale de filmer les agents pourrait conduire à un manque de transparence, réduisant ainsi la possibilité pour le public de surveiller les actions des agents de l’État et de signaler les éventuels abus.

Risques de dérives et d’abus de pouvoir

Les critiques redoutent également que ce projet ouvre la voie à des interprétations arbitraires, laissant aux policiers une liberté trop grande pour juger ce qui constitue une « atteinte » à leur image. L’Institut Media Policy souligne que la formulation ambiguë de certains articles pourrait permettre aux forces de l’ordre de qualifier comme « diffamatoires » des vidéos montrant simplement des citoyens en désaccord avec une intervention policière.

Cette ambiguïté pourrait ainsi être exploitée pour réduire au silence les citoyens, mais aussi pour intimider les journalistes et activistes qui souhaitent documenter des abus. D’après les juristes, les sanctions proposées — incluant des amendes élevées et des peines de prison allant jusqu’à sept ans pour des récidivistes — seraient disproportionnées et pourraient être utilisées pour dissuader toute forme de critique envers les autorités.

Le droit de surveiller l’action publique et la sécurité citoyenne

Pour les défenseurs des droits de l’homme, la possibilité de filmer les forces de l’ordre est essentielle pour maintenir une forme de contrôle citoyen sur les actions des représentants de l’État. Ils rappellent que dans un État de droit, les citoyens doivent pouvoir documenter les actions des agents publics, surtout lorsqu’ils estiment que ces actions sont inappropriées. Cela permet non seulement de prévenir les abus mais aussi de renforcer la confiance du public envers les institutions.

De plus, selon plusieurs députés opposés au projet, comme Seidbek Atambaev et Aigul Aidarova, interdire les enregistrements pourrait limiter la capacité des citoyens à se protéger en cas d’abus de pouvoir. Ils rappellent que de nombreuses affaires récentes ont été résolues grâce à des vidéos prises par des témoins. Cette pratique permet d’assurer que les agents se comportent de manière professionnelle et respectent les droits des citoyens.

Une pression accrue sur les journalistes

Les journalistes se trouvent également concernés par cette proposition de loi, qui pourrait restreindre leur capacité à rapporter des abus. Les organisations de défense de la presse craignent que les restrictions à la prise de vidéos n’entraînent des représailles contre ceux qui tentent de dénoncer des comportements illégaux. Cela pourrait saper leur rôle de chien de garde de la démocratie, un rôle pourtant fondamental dans tout système démocratique.

D’après les analystes, cette interdiction pourrait réduire le niveau de transparence dans le pays et renforcer la méfiance des citoyens envers les autorités. Les défenseurs de la liberté de presse insistent sur le fait que la possibilité de filmer les actions de l’État est un pilier de la démocratie, permettant de renforcer l’intégrité et la responsabilité au sein des institutions publiques.

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