Au cœur de l’Asie centrale, la région tadjike du Haut-Badakhchan est devenue un épicentre de tensions et d’enjeux géopolitiques. Entre fermetures d’ONG, confrontations entre l’autorité centrale et la population locale, et l’attention croissante des puissances mondiales, cette région est l’une des zones chaudes d’Asie centrale.
Ces six derniers mois, ce ne sont pas moins de cinq organisations non-gouvernementales qui ont été interdites dans le Haut-Badakchan. Le 8 août dernier, c’est le vice-ministre de la Justice du Tadjikistan, Asadullo Hakimzoda, qui a déclaré lors d’une conférence de presse le 8 août à Douchanbé que ces ONG avaient été dissoutes « en raison de liens avec les groupes criminels locaux ». Une décision révélatrice de la volonté de l’Etat tadjik de mettre au pas cette région remuante.
Car depuis plusieurs années, le Haut-Badakhchan connaît des tensions internes et une succession d’affrontements violents. La région, qui couvre plus de 40% du territoire du Tadjikistan mais qui représente seulement 2,4% environ de la population est secouée par de violentes tentations sécessionnistes. En novembre 2021, la mort d’un homme Pamiri – ethnie iranienne majoritaire dans la région – aux mains des forces de sécurité avait déclenché de vastes manifestations. En réponse, le gouvernement avait déployé des renforts militaires et coupé l’accès à Internet. En mai 2022, des tensions et des émeutes avaient éclaté à nouveau, suscitant l’inquiétude de nombreuses organisations internationales et délégations diplomatiques.
Géopolitique du Haut-Badakhchan
Stratégiquement situé, le Haut-Badakhchan attire l’attention de plusieurs puissances mondiales. Frontalier avec la Chine, l’Afghanistan et le Kirghizistan, il représente un enjeu majeur en termes d’accès aux ressources, notamment minérales, hydriques et gazières. La Chine, notamment, a sensiblement renforcé sa présence dans la région ces dernières années en investissant dans des infrastructures majeures, dont une autoroute reliant le Pakistan et l’Afghanistan à travers le Tadjikistan. De plus, en octobre 2021, les autorités tadjikes annonçaient la construction d’une base militarisée financée par la Chine, bien que cette dernière soit sous contrôle tadjik.
La Russie, quant à elle, maintient son influence via l’Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC), une alliance militaire regroupant plusieurs pays d’Asie centrale, dont le Tadjikistan.
Face à ces enjeux, le Tadjikistan a adopté une stratégie complexe pour le Haut-Badakhchan : tout en renforçant les mesures de sécurité, le gouvernement tente de promouvoir le développement économique et la stabilité politique de la zone. Des investissements ont été réalisés dans des projets d’infrastructure, et des efforts sont faits pour encourager les investissements privés, notamment dans les secteurs minier et énergétique.
Cependant, malgré ces efforts, la région reste marquée par des tensions. Les ONG locales et internationales dénoncent régulièrement les arrestations arbitraires, la torture et l’intimidation utilisées par le gouvernement pour contrôler la population.
Le Haut-Badakhchan se trouve donc à la croisée des chemins. Entre les intérêts géopolitiques des grandes puissances, les tensions internes et les défis économiques, la région est au cœur de nombreux enjeux. Si l’inclusion dans le commerce international et la construction d’infrastructures majeures peuvent soutenir le développement socio-économique local, la zone pourrait également faire face à une crise domestique future, exacerbée par les restrictions imposées par Douchanbé et la situation précaire de la population Pamiri.