Les ressortissants d’Asie centrale sont enrôlés de force pour participer à la guerre en Ukraine
Les ressortissants d’Asie centrale détenus dans les « colonies pénitentiaires » russes se trouvent engagés malgré eux dans la guerre en Ukraine. À ce jour, on peut affirmer avec certitude la mort de 19 ressortissants du Kirghizstan, de 34 ressortissants d’Ouzbékistan et 40 ressortissants du Tadjikistan, révèle la rédaction russe de la BBC.
Les ressortissants d’Asie centrale sont enrôlés dans les « colonies pénitentiaires » russes : avant janvier 2023, c’étaient des milices privées, principalement Wagner. À partir de 2023, c’est exclusivement le ministère russe de la Défense qui le fait. À la différence des citoyens russes, les ressortissants d’Asie centrale ne se voient pas laisser le choix de partir ou de rester, ils sont enrôlés de force, rapporte la BBC. Et comme rapporte la rédaction kirghize de Radio Liberty (Radio Azattyk), à la différence des citoyens russes, qui perçoivent parfois des sommes d’argent en contrepartie de leur enrôlement, s’ils ont de la chance, les ressortissants d’Asie centrale n’en perçoivent jamais.
Guerre en Ukraine : le Kirghizstan et le Tadjikistan cultivent deux approches opposées à leurs ressortissants partis combattre
Le sort de leurs ressortissants détenus dans le système pénitentiaire russe inquiète beaucoup certains pays d’Asie centrale mais pas d’autres. Début février 2023, le député kirghize Zhanar Akaev a déclaré devant le parlement : « Il y a plus d’un millier de nos ressortissants dans les prisons russes. Ils participent à la guerre en Ukraine, et seuls leurs cadavres sont renvoyés dans leur patrie. C’est une grande tragédie ». Immédiatement après cette déclaration, le président de la Cour suprême, Zamirbek Bazarbekov, a demandé à Zhanar Akaev de lui remettre tous les documents sur les refus d’extrader le peuple kirghize de Russie, promettant de tous les étudier.
Le Tadjikistan, quant à lui, préfère faire l’autruche. Le ministère du Travail, de la Migration et de l’Emploi du Tadjikistan a déclaré que les prisonniers tadjiks détenus dans les prisons russes avaient eux-mêmes exprimé le désir de faire la guerre en Ukraine, rapporte la rédaction tadjike de Radio Liberty (Radio Ozodi). Shukhrat Akhmadzoda, le chef du Service des travailleurs migrants du ministère du Travail du Tadjikistan, a déclaré que « les prisonniers purgeant des peines ont été mobilisés pour la guerre en Ukraine conformément à la législation russe et après avoir obtenu leur consentement ». Le fonctionnaire a par ailleurs refusé de se prononcer sur le nombre de Tadjiks purgeant des peines dans les « colonies pénitentiaires » russes.
La Convention de Minsk, un outil juridique pensé pour permettre les extraditions… mais difficile à appliquer
Face à ce risque d’enrôlement, les familles des détenus en Russie ont commencé à alerter les pouvoirs publics de leurs pays dès l’automne 2022, lorsque la Russie a annoncé sa mobilisation. Depuis 1993, la Convention de Minsk, signée par les États membres de la Communauté des États indépendants (CEI), permet en effet aux personnes détenues dans un État membre différent de leur nationalité d’être extradés pour continuer à servir leur peine dans un établissement pénitentiaire dans leur pays.
Mais la différence de législation dans les deux pays empêche souvent de lancer le processus. Par exemple, pour les délits liés à la drogue, la peine maximale en Russie est de 20 ans, alors qu’elle est de 15 ans au Kirghizstan. La différence des systèmes pénitentiaires joue aussi : il arrive que la loi russe requière une « colonie pénitentiaire » « stricte », alors que pour le même délit, la loi kirghize requière une « colonie pénitentiaire » « de régime général ».
L’extradition de détenus étrangers, une procédure extrêmement longue
La procédure est également d’une lourdeur exceptionnelle, ce qui n’arrange pas du tout les choses. Pour être extradé, conformément à la Convention de Minsk, un étranger détenu en Russie (ou un membre de sa famille) doit soumettre une demande au Service pénitentiaire fédéral de Russie. Le service recueille les documents du condamné et les envoie au ministère russe de la Justice. Après vérification par le ministère de la Justice, les documents sont envoyés au bureau du procureur général du Kirghizistan. Et seulement après l’approbation des procureurs, les documents sont envoyés à la Cour suprême du Kirghizistan, où l’affaire est à nouveau examinée. Ensuite, la Cour suprême envoie sa décision au bureau du procureur général. Et de là, elle est transmise au tribunal de la région de Russie où le prisonnier purge sa peine. Après avoir examiné les éléments de l’affaire, la Cour suprême envoie sa décision au ministère de la Justice de la Russie. Le ministère envoie enfin les documents pour le transfert du détenu au Service pénitentiaire fédéral.