Une mesure législative en faveur de la langue kirghize
Le parlement kirghize vient d’adopter une loi constitutionnelle concernant la langue nationale. Cette loi vise principalement les fonctionnaires et les services publics, ainsi que les médias. Elle stipule une utilisation obligatoire du kirghize dans la correspondance officielle, les noms géographiques et les informations relatives aux produits et services. Il est à noter que le russe conserve son statut de langue officielle, inscrit dans la Constitution.
En particulier, la loi exige des fonctionnaires une maîtrise du kirghize au niveau B1. Cela signifie qu’ils doivent connaître un minimum de trois mille mots en kirghize, être capables de lire et de comprendre du texte, ainsi que d’exprimer leurs pensées par écrit et oralement dans cette langue.
Une langue mise en avant dans les médias
Pour les médias, la loi établit également des règles précises. Ainsi, 60% du contenu des chaînes de télévision et de radio doit être en kirghize. Il en va de même pour les sites Internet, où l’information en kirghize ne doit pas être inférieure à celle dans d’autres langues. Cela pourrait également conduire à une plus grande diversification des contenus médiatiques, offrant un espace plus large pour l’expression de la culture et de l’identité kirghizes. Néanmoins, la réalisation d’un tel objectif implique des investissements significatifs dans la formation des journalistes et des producteurs de contenu, ainsi que dans la création de programmes de qualité en kirghize. Il est également important de garantir l’accès à ces contenus pour tous les citoyens, y compris ceux qui ne maîtrisent pas encore parfaitement la langue.
Depuis 2004, la langue kirghize est la langue nationale du Kirghizistan, tandis que le russe possède le statut de langue officielle. Avant cela, le russe était la deuxième langue nationale. La réduction de son statut était justifiée par la nécessité de développer la langue kirghize. Cependant, près de vingt ans plus tard, aucune méthodologie d’enseignement de la langue kirghize n’a été développée.
Une population linguistiquement partagée
La langue russe s’est affirmée parmi les Kirghizes depuis les années 1920, lorsque des enseignants et d’autres spécialistes russes sont venus dans ce qui était la République kirghize de l’Union des républiques socialistes soviétiques. Lors de l’évacuation pendant la Seconde guerre mondiale, des théâtres arrivés de Moscou fonctionnaient au Kirghizistan. L’intelligentsia russe a apporté à la société kirghize toute la richesse de la langue russe, dont le classique de la littérature nationale, Chingiz Aitmatov, a dit que c’est « notre chair spirituelle ».
Aujourd’hui, environ 40% de la population du Kirghizistan parle russe, malgré le fait que le Kirghizstan ne compte plus que 5% de Russes au sein de sa population. En effet, entre 1989 à 2021, le nombre de Russes ethniques a diminué de 2,7 fois, passant de 917.000 à 341.000. De nos jours, les Russes de souche sont principalement installés dans la région de la capitale, la plaine de Tchouï. Début 2021, Bichkek comptait 15% de Russes au sein de sa population (soit 162.000 personnes), ils composaient également 14% de la population de la région de Tchouï. Leur présence est perceptible dans la région d’Issyk-Kul, où vivent 27.000 Russes environ (soit 5,4% de la population de la région).
La communauté russe reste linguistiquement fermée – seuls 3% parlent une langue autre que leur langue maternelle. Aujourd’hui les Russes n’ont pas de besoin urgent d’apprendre d’autres langues. La langue russe continue d’être utilisée pour la communication interethnique et la diaspora russe vit de manière compacte dans un certain nombre de régions.
Le Kirghizistan est d’ailleurs l’un des rares pays de l’espace post-soviétique où le statut de la langue russe est inscrit dans la Constitution (il est également mentionné dans les lois fondamentales du Kazakhstan, de la Moldavie et du Tadjikistan). La langue kirghize est dotée du statut de langue d’État, le russe est reconnu comme langue officielle.
Un enjeu majeur pour l’identité nationale
Le projet de loi a été présenté au parlement par la vice-présidente de la Commission nationale pour la langue nationale et la politique linguistique, Jyldyz Orozobekova. Elle a déclaré que cette loi était plus importante pour la souveraineté kirghize que « mille autres », car « dans le contexte de la mondialisation, chaque peuple cherche à préserver sa langue et sa culture ». Au final, le projet de loi a été approuvé en première lecture par 75 des 88 députés, un seul votant contre.
Cependant, les opposants à ce projet de loi estiment que les autorités cherchent surtout à détourner l’attention de la population de la situation sociale difficile en favorisant le débat linguistique.
Un effort important est attendu en matière de formation
La nouvelle loi sur la langue kirghize marque un tournant important dans la politique linguistique du Kirghizstan. Elle représente une avancée significative dans la valorisation de la langue nationale, tout en maintenant le respect de la diversité linguistique du pays. Cependant, sa mise en œuvre nécessitera des efforts considérables en matière d’éducation et de formation, ainsi qu’une volonté politique soutenue pour surmonter les défis qui se posent. Si ces efforts sont réussis, ils contribueront non seulement à renforcer la place du kirghize dans la société, mais aussi à valoriser l’identité et la culture kirghizes. Le projet de loi, qui sera maintenant soumis à la signature du président, entrera en vigueur une fois signé.
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