Le Kirghizstan ambitionne d’éradiquer la prostitution
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Le 30 novembre 2023, Kamchybek Tachiev, le chef du GKNB, les services secrets du Kirghizstan, a déclaré que le Kirghizstan serait purgé de maisons closes « avant demain », soit le 1er décembre 2023.

Fermer les maisons closes dans les 24 heures

Selon Kamchybek Tachiev, l’une des tâches prioritaires des officiers du GKNB est désormais de « contrôler les activités des autorités de l’État afin de réprimer les activités illégales visant à organiser divers établissements de divertissement, bains et maisons closes qui fournissent des services intimes aux citoyens ». « Les chefs des organes de l’État et des municipalités ainsi que les forces de l’ordre ont reçu l’ordre de mettre fin à l’exploitation de ces établissements dans tout le pays d’ici le 1er décembre 2023. Si les organes du GKNB reçoivent des informations sur la poursuite de l’exploitation de ces établissements, les chefs des autorités locales et des forces de l’ordre seront démis de leurs fonctions », a-t-il déclaré.

Auparavant, Kamchybek Tachiev avait déclaré que la plupart des personnes qui « travaillent » dans des lieux fournissant des services intimes sont des étudiantes, et qu’il fallait lutter contre ce phénomène. Kamchybek Tachiev a exhorté les agents du GKNB à redoubler d’efforts pour lutter contre la prostitution, déclarant que ces derniers temps, « les filles se sont laissées aller ».

Lutte contre la prostitution : des pratiques qui posent question

Le 28 novembre 2023, le GKNB a annoncé avoir mis fin aux activités d’un réseau de maisons closes offrant des services sexuels. Dans le cadre de cette annonce, l’agence a publié des photos et des données personnelles de dizaines de femmes, prétendument impliquées dans la prostitution. Cette publication, décrite comme une mesure de prévention, comprenait des photos, des données de passeport, des adresses et même les noms des parents de certaines de ces femmes. Des vidéos du raid, ainsi que des photos de femmes publiées par le Comité d’État pour la sécurité nationale ont commencé à circuler sur les réseaux sociaux et ont également été diffusées sur les chaînes de télévision nationales.
« À titre de mesure préventive pour ceux qui ont l’intention d’organiser ou de se livrer à de telles activités illégales, le GKNB publiera des photos des propriétaires de maisons closes et des filles qui y travaillent », a expliqué le service spécial.

Kamchybek Tachiev a par ailleurs menacé de révéler l’identité et de publier les photos des travailleuses du sexe et de ceux qui utilisent leurs services sur Internet « s’ils sont pris à nouveau ». Il a déclaré que des députés, des fonctionnaires et des hommes d’affaires avaient été identifiés parmi ceux qui utilisent des « services intimes ». « Nous vous avons enregistré, vous et vos actes. Si vous ne cessez pas de le faire et que vous vous faites prendre à nouveau, nous montrerons vos visages malgré la position que vous occupez. Nous dirons au public que tel fonctionnaire, député ou homme d’affaires fait telle ou telle chose. J’annonce à tous que nous combattrons ces phénomènes négatifs jusqu’au bout. À partir de maintenant, personne au Kirghizstan ne pourra recevoir de services intimes de nos filles. Nous contrôlerons cette situation », a-t-il déclaré.

Le chef des services secrets kirghizes a également déclaré que le GKNB avait identifié des groupes spéciaux dans plusieurs applications de messagerie instantanée comptabilisant parmi ses membres environ 200 filles âgées de 18 à 25 ans qui fournissaient des services intimes. Kamchybek Tachiev a fait savoir que le GKNB ne publierait pas ses données, mais qu’à la place il montrerait aux parents « ce que font leurs enfants, afin qu’ils puissent eux aussi participer à l’éducation de leurs enfants ». Le chef du GKNB a menacé que si ces filles « sont à nouveau prises, le service spécial sera obligé de montrer leurs visages et d’annoncer leurs noms de famille ».

Une publication qui suscite un émoi au Kirghizstan

Des juristes et des défenseurs des droits humains ont critiqué les actions du GKNB, soulignant qu’elles constituaient une violation des droits à la vie privée. La publication de données personnelles sans consentement est en effet considérée comme un crime en vertu de la législation kirghize.

Interrogée par le média indépendant Kloop, la juriste Tattuububu Ergeshbaeva a souligné que les actions du GKNB contreviennent au principe de la présomption d’innocence. La divulgation des données personnelles des personnes arrêtées peut nuire à leur sécurité et créer un préjugé dans l’opinion publique, les considérant coupables avant toute preuve de leur culpabilité, explique-t-elle.

S’exprimant sous couvert d’anonymat aux journalistes de Kloop, une défenseure des droits des femmes a décrit les conséquences dévastatrices de la divulgation des données personnelles des travailleuses du sexe. Ces femmes craignent désormais la réaction de leurs familles et de la société, avec des risques accrus de violence et de stigmatisation. Leurs enfants sont également susceptibles de subir des conséquences négatives, notamment le harcèlement et l’ostracisme.

Des députés du parlement kirghize et des activistes ont condamné les actions du GKNB. Ils ont souligné que même les criminels arrêtés bénéficient de la protection de leurs données personnelles. Certains ont suggéré que les clients des travailleuses du sexe devraient plutôt être exposés. La romancière et féministe Altyn Kapalova a critiqué le GKNB pour avoir exacerbé la violence de genre et a appelé à la responsabilité des autorités.

L’ONU condamne le geste du GKNB

Antje Grawe, la coordinatrice résidente du système des Nations unies au Kirghizstan, a exigé le retrait immédiat de la publication contenant les photos et autres données personnelles des travailleuses du sexe. Elle a appelé les autorités à respecter la dignité humaine et les droits des femmes. Elle a adressé une lettre aux autorités kirghizes à cet effet. La lettre indique que M. Gravier « s’inquiète de la diffusion publique de données personnelles et d’identités de femmes prétendument impliquées dans la prostitution ». « Notant les violations possibles des droits des femmes à la vie privée, à la non-discrimination, à la présomption d’innocence et au droit de ne pas subir de traitement dégradant, [Antje Grawe] a également souligné la nécessité de protéger les victimes et les témoins potentiels de crimes graves tels que la traite des êtres humains et la prostitution forcée », a fait savoir l’ONU.

La coordinatrice résidente des Nations unies a appelé à un examen « urgent » de toutes les raisons qui ont conduit à la diffusion de photos de femmes en gros plan afin de prévenir des actes similaires à l’avenir. Elle a ajouté que les femmes impliquées dans la prostitution ont désormais besoin d’être protégées et soutenues.

La prostitution, un « secteur » qui « emploierait » 9.000 femmes au Kirghizstan

Selon une étude réalisée en 2023, plus de 9.000 femmes se livreraient à la prostitution au Kirghizistan, souvent pour des raisons économiques. Beaucoup d’entre elles sont des soutiens de famille, remboursant des prêts ou finançant des études. Depuis 1998, la prostitution est décriminalisée au Kirghizistan. Cependant, la stigmatisation sociale et la persécution des travailleuses du sexe continuent, fluctuant en intensité mais ne disparaissant jamais complètement.

Illustration par Freepik

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